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Appel à communication pour les journées d’étude ’« Cadrages coloniaux » Usages privés de la photographie dans les empires européens (De la seconde moitié du XIXe siècle aux indépendances)’ (Paris, 13-14 janvier 2020)

Le 8 août 2019 à 20h16

Appel à communication pour les journées d’étude
’« Cadrages coloniaux ». Usages privés
de la photographie dans les empires européens
(De la seconde moitié du XIXe siècle aux indépendances)
Auditorium de la Maison Européenne de la Photographie

5/7 rue de Fourcy, Paris 4e
Lundi 13 janvier et mardi 14 janvier 2020



Appel à communication jusqu’au 6 septembre 2019

Journées d’études organisées par le LabEx EHNE (Écrire une Histoire Nouvelle de l’Europe) et la MEP (Maison Européenne de la Photographie)

Comité scientifique :
Raphaëlle Branche, Romain Bertrand, Olivier Dard, Quentin Deluermoz, Aurelia Dusserre, Daniel Foliard, Mathieu Marly, Clyde Plumauzille, Emmanuelle Sibeud, Isabelle Surun, Fabrice Virgili.

Les propositions de communication (4000 signes maximum) sont à envoyer au plus tard le 6 septembre 2019 à :
cadragescoloniaux@gmail.com


Depuis une vingtaine d’années, les sources visuelles sont l’objet d’une attention croissante de l’histoire coloniale dans le sillage des Post-colonial studies. Ces études ont permis la déconstruction des clichés et des stéréotypes raciaux diffusés dans les métropoles européennes par le biais de supports multiples : peintures orientalistes, affiches de propagande coloniale, publicités et cartes postales. Parmi ces différents supports, la photographie a joué un rôle de premier plan en devenant l’un des mediums privilégiés pour documenter l’expansion et le développement de l’impérialisme européenne à partir de la fin du XIXe siècle[1]. Qu’elles prennent la forme de supports ethnographiques, de cartes postales pittoresques ou de reportages journalistiques, ces photographies sont destinées à un usage public et visent à légitimer l’emprise coloniale aux yeux des opinions publiques européennes. A l’inverse, l’étude des usages privés (non destinés à la publication) de la photographie, parce qu’ils ne visent pas exclusivement à justifier la colonisation, permet de renouveler les approches de ce médium en terrain colonial.

Des soldats, des administrateurs et de simples colons se saisissent de l’outil photographique pour nourrir une mémoire visuelle de leurs expériences extra-européennes, produisent et conservent des séries de clichés qui deviennent parfois de véritables archives intimes. Au-delà des praticiens, de simples curieux et des collectionneurs achètent des tirages dans les studios des villes du monde colonisé, amassant des collections photographiques personnelles. Nombreux sont, en outre, les Européens qui utilisent la photographie, sous la forme de tirages originaux ou de cartes postales, pour maintenir un lien avec les familles restées en métropole. Les soldats partis combattre dans des conflits extra-européens documentent également leurs parcours par la photographie. Des quelques clichés collectés auprès de camarades à de véritables mémoriaux visuels privés, leurs utilisations de la photographie offrent une entrée très riche dans l’histoire des guerres coloniales[2].

Cette liste non exhaustive laisse entrevoir à quel point les usages privés de la photographie dans les espaces coloniaux – entendus ici au sens très large des territoires placés sous influence directe ou indirecte des grandes structures impériales européennes – peuvent être envisagés comme des documents essentiels à l’écriture de l’histoire[3]. Les polémiques qui ont parfois suivi la publication de ces photographies doivent cependant conduire à un véritable effort de réflexion sur les usages de cette source pour l’historien.ne[4]. Dans cette perspective, ces journées d’études seront l’occasion de dépasser l’usage illustratif des photographies privées en considérant ces sources non pas comme des documents d’appoint à l’écriture, mais comme le support principal de l’analyse historique.

Il s’agit ainsi de retrouver l’étonnement de Roland Barthes devant la photographie comme témoignage d’un évènement qui a eu lieu, et, en l’occurrence, de saisir l’interaction entre un photographe, des européens, des territoires et populations colonisés, dans le moment précis de la prise de vue ou dans celui, ultérieur, de la circulation et du classement des images[5]. Cette démarche doit également permettre de dépasser l’usage public et politique de ces images – comme preuve à charge ou dénonciation de la domination coloniale – pour inscrire l’analyse dans l’approche socio-historique de la « situation coloniale[6] ». Les interventions devront donc s’attacher à analyser au plus près la situation photographique et étudier les fonds en identifiant les photographes et leurs techniques, documentant le contexte des prises photographiques et suivant au plus près la circulation des images.

Ces journées d’études sont organisées et pensées comme la première étape d’un vaste projet éditorial qui soutiendra non seulement la publication d’un ouvrage collectif, mais aussi la mise en ligne de fonds privés sur le site de l’encyclopédie EHNE (Ecrire une Nouvelle Histoire de l’Europe) (https://ehne.fr/). Ces journées seront l’occasion de réfléchir ensemble aux modalités de la mise en récits des images photographiques dans l’écriture de l’histoire, des expositions photographiques et des pratiques éditoriales en usage[7].

Les propositions de communications devront mettre en avant l’exploitation de séries photographiques « privées » inédites (non publiées) et pourront s’inscrire dans un ou plusieurs des axes de réflexions suivants :
● Influences de l’imagerie coloniale dans les usages privés de la photographie
Les photographies à usage privé ne sont pas imperméables aux modèles diffusés par l’imagerie coloniale[8]. Les réappropriations et les interprétations des codes visuels portés par les arts ou la presse illustrée, la perméabilité de la frontière entre la photographie intime et les canons de la photographie institutionnelle sont autant de traces à explorer. De même, lorsque les photographes s’attachent aux portraits individuels ou collectifs, ils réalisent des « performances[9] » au sens où les corps s’exposent et sont exposés selon des postures qui renvoient à certains modèles édifiants de l’interaction coloniale (de l’aventurier, du militaire baroudeur, de l’explorateur, du simple touriste, du maître d’exploitation, de l’administrateur) ; de même que les colonisés peuvent être contraints à certaines mises en scène (pose ethnographique, carte postale pittoresque, clichés érotiques, scènes fraternelles). Cette influence peut également être recherchée dans les prises de vues de l’environnement urbain et des paysages, de la faune et de la flore, soumises au même alignement aux lieux communs de l’imagerie coloniale. La confrontation entre les modèles canoniques de cadrage et de pose dans l’imagerie coloniale et les pratiques privées de la photographie est ainsi riche de reformulation/redéfinition des imaginaires coloniaux.
● La photographie privée : « hors champ » de l’imagerie coloniale
Par leurs singularités et leur diversité, les photographies privées échappent en partie aux modes visuelles de l’imagerie coloniale lorsqu’elles renvoient à d’autres formes de présentation de soi, notamment dans la sphère familiale (portraits de familles, photographies privées destinées à la famille en métropole). Ces images, singulières et plurielles, font en effet apparaître un « hors champ » de la situation coloniale qui renvoie autant aux incertitudes de la domination (enfants métis, « petits blancs », couples mixtes) qu’à la frontière du visible et du caché (pornographie, photographies-trophées de campagnes coloniales, exactions[10]). L’étude de la photographie dans la sphère privée permet ainsi d’aborder une archive visuelle coloniale plus complexe et contradictoire[11].
● Matérialité, circulation et classement des photographies privées
Ces photographies permettent d’atteindre le degré intime de la situation coloniale. L’album privé de colons, par exemple, laisse entrevoir une mise en scène de la domesticité dont l’analyse peut être féconde[12]. La question de la spécificité des circulations privées de la photographie dans des situations coloniales est elle-même centrale : existe-t-il des ruptures nettes entre les pratiques constatées en Europe et les utilisations du médium dans les espaces de la domination impériale ? Ces photographies, parfois regroupées comme autant de journaux intimes, ou rassemblées dans des collections ou albums de famille, sont certes conservées dans des institutions spécialisées dans l’histoire coloniale mais n’y tiennent qu’une place secondaire. Insuffisamment référencées, ou simplement oubliées dans les greniers, elles recueillent pourtant une mémoire de l’impérialisme européen, une relation intime avec l’événement de la colonisation.

Comité d’organisation :
Daniel Foliard, Mathieu Marly.


[1] James R. Ryan, Picturing Empire : Photography and the Visualization of the British Empire, Chicago, University of Chicago Press, 1997 et Christopher Pinney, The Coming of Photography in India, Londres, British Library, 2008.
[2] Claire Mauss-Copeaux, A travers le viseur : Images d’appelés en Algérie 1955-1962, Lyon, Aedelsa, 2003.
[3] Elizabeth Edwards and Janice Hart, Photographs Objects Histories : On the Materiality of Images. eds. London : Routledge Press, 2004.
[4] Voir, par exemple, les débats qui ont accompagné la publication de l’ouvrage dirigé par Nicolas Bancel, Gilles Boëtsch, Pascal Blanchard, Jacques Martial, Achille Mbembe, Leïla Slimani, Christelle Taraud et Dominic Thomas (dir.), Sexe, race et colonies, Paris, La Découverte, 2018.
[5] Roland Barthes, La chambre claire. Note sur la photographie, Paris, Gallimard, 1980. Pour une mise au point sur les rapports entre la photographie et l’histoire, voir Ilsen About et Clément Chéroux, « L’histoire par la photographie », Etudes photographiques, n° 10, novembre 2001 [en ligne].
[6] Georges Balandier, « La situation coloniale : approche théorique », Cahiers internationaux de sociologie, 1951, vol. 11, p. 44-79 et Ann Laura Stoler et Frederick Cooper, Repenser le colonialisme, Paris, Payot, 2013.
[7] Dans le sillage des expérimentations éditoriales autour des usages historiens de la photographie. Voir Philippe Artières et Noëlle Pujol, Reconstitution : jeux d’histoire, Paris, Manuella ed., 2013 et Pierre Schill (ed.), Réveiller l’archive coloniale, Ivry-sur-Seine, Paris, Creaphis Ed., 2018.
[8] Pour une mise au point sur la photographie amateur, voir François Brunet, La naissance de l’idée de photographie, Paris, Presses universitaires de France, 2001 et Christian Joschke, Les yeux de la nation. Photographie amateur et société dans l’Allemagne de Guillaume II (1888-1914), Paris, Les presses du réel, 2013, p. 7-27.
[9] C’est-à-dire, au sens des gender studies, comme mise en scène de soi dans le cadre d’une interaction. Judith Butler, Gender Trouble : feminism and the subversion of the identity, New-York ; London, Routledge, 1990.
[10] Voir par exemple Silvan Niedermeier, “Imperial narratives : reading US soldiers’ photo albums of the Philippine–American War”, Rethinking History, Volume 18, 2014 /2, p. 28-49. Sur la photographie amateur en temps de guerre, Laurent Gervereau (dir.), Voir, ne pas voir la guerre. Histoire des représentations photographiques de la guerre, Paris, Somogy Ed. BDIC, 2001 et Janina Struk, Private Pictures. Soldiers’ Inside Views of War, London, I.B Tauris, 2011.
[11] Ann Laura Stoler, Along the Archival Grain. Epistemic Anxieties and Colonial Common Sense, Princeton, Princeton University Press, 2009.
[12] Susie Protschky, ‘Tea cups, cameras and family life : Picturing domesticity in elite European and Javanese family photographs from the Netherlands Indies, c. 1900–1942’, History of Photography, 36:1 (2012) : 44-65.


Nous tenons à remercier chaleureusement Daniel Foliard pour nous avoir communiqué ces informations précieuses !